Nous, personnes trans* et non-binaires, mineures ou majeures,
Nous, leurs parents, leurs familles et leurs proches,
Nous, personnes LGBIQ+ alliées,
Nous, professionnel-le-x-s soutenant les personnes trans* et non-binaires et toute personne se questionnant sur son identité de genre, et expert-e-x-s de ces questions,
Nous, les associations 360, Asile LGBTIQ+, Dialogai, HUG A Rainbow, Lestime, Transgender Network Switzerland et Think Out, co-signataires,
Par cette lettre ouverte à la RTS, nous dénonçons le traitement médiatique des personnes trans* et non-binaires, et en particulier des jeunes trans* et non-binaires, porté par l’émission « Temps Présent » sur les « détransitions », diffusée le 2 mars 2023 au soir. Nous déplorons et dénonçons un traitement médiatique partial, déontologiquement incorrect, tant au sein du processus de tournage de l’émission que dans le contenu de celle-ci, et véhiculant des informations incorrectes et biaisées.
Quant au contenu de l’émission, certains éléments présentés sont contredits par les différentes études scientifiques en la matière, dont aucune mention n’est faite. Nous tenons ainsi à revenir sur quelques faits scientifiquement reconnus.
Pour chaque personne trans* et/ou non-binaire y compris pour les jeunes trans* et/ou non-binaires, toute transition est le fruit d’une longue réflexion. Toute transition, qu’elle soit sociale, médicale ou juridique, relève du parcours du/de la combattant-e en Suisse : les obstacles sont encore bien trop nombreux. Pour les jeunes trans* et non-binaires en particulier, pouvoir se faire appeler par le prénom choisi et le genre vécu, pouvoir être soi-même à l’école, dans leur famille ou en-dehors, pouvoir accéder, si cela est souhaité, à un processus d’hormonothérapies ou des opérations chirurgicales et pouvoir, éventuellement, changer de genre à l’état civil, relèvent de processus de survie. Le respect de l’auto-détermination de ces jeunes et de leur capacité de discernement, et notamment pour l’accès à l’hormonothérapie ou à des opérations, après un accompagnement sérieux et de qualité par des professionnel-les qualifiée-s, est donc primordial.
Nous tenons ici à souligner que, contrairement à ce qui est véhiculé dans l’émission :
- Les questionnements des jeunes trans* et/ou non-binaires n’apparaissent ainsi pas « d’un coup », « en l’espace de deux secondes », mais sont le fruit d’un long questionnement, de plusieurs années, et d’un courage monumental pour en arriver au coming-out familial, scolaire et social ;
- Les prises en charge et les décisions, par un-e professionnel-le de la santé, de l’accès à une transition médicale, ne sont pas précipitées. Au contraire, tous les constats et les chiffres, y compris, en Suisse romande, montre que ce n’est pas le cas. En moyenne, l’accord pour l’accès à l’hormonothérapie en Suisse romande est de 22,6 mois pour les jeunes trans* et/ou non-binaires de 14 à 17 ans, et de 23,3
mois pour les jeunes de 18 à 25 ans[1]. On ne peut donc clairement pas conclure que ces décisions médicales et ces prises en charge sont précipitées ;
- Personne ne devient trans* et/ou non-binaire suite à l’influence d’un groupe, d’une association ou encore des réseaux sociaux. Scientifiquement, c’est un argument qui n’a aucune base scientifique et véhicule un stéréotype d’effet de mode ou d’épidémie ;
- La communauté trans* n’est également pas composée que de jeunes personnes, mais aussi d’adultes.
Nous déplorons également la non-mise en parallèle des effets bénéfiques d’une transition dans la réduction des tentatives de suicide chez les jeunes trans* et/ou non-binaires avec au contraire un traitement médiatique, dans l’émission, qui indique qu’une transition pourrait avoir des « conséquences tragiques ». Vivre dans le genre « qui est ressenti comme étant le sien est, à court et long termes, favorable au bien-être et à un développement harmonieux des aspects cognitifs et relationnels, même chez les jeunes enfants »[2].
Les personnes trans* ont jusqu’à 10x plus de risque de faire une tentative de suicide, en raison de la transphobie, des discriminations, des obstacles rencontrés pour effectuer leur transition et pour pouvoir être soi-même. Elles « cumulent plus de facteurs de risques, comme des violences physiques, verbales, virtuelles et sexuelles, la discrimination, le harcèlement en milieu scolaire, les difficultés d’accès aux soins, ainsi que des expériences de thérapies de conversion »[3]. 57% des personnes ayant fait une tentative de suicide ont indiqué que l’une des principales raisons est le rejet et l’exclusion par les parents et la famille proche. Le taux des jeunes trans* faisant une tentative de suicide après avoir subi de la transphobie en milieu scolaire monte à 50% pour ceux qui subissent du harcèlement, 63% pour ceux qui ont subi des agressions physiques, et à 73% pour ceux qui ont subi des agressions sexuelles[4]. Les conduites à risques et les pensées noires avec tentatives de suicide baissent de 93% lorsque les parents soutiennent leur enfant dans sa démarche[5].
Pourquoi parler uniquement de « détransition » dans l’émission sans avoir mis en parallèle, dans l’émission, les effets bénéfiques d’une transition ? Pourquoi parler, dans le chapeau de l’émission et dans celle-ci, de « prises en charges précipitées », ce qui est scientifiquement incorrect, ou encore de phrases telles que « de plus en plus de jeunes détransitionnent », sans citer des chiffres, qui entretiennent le flou et véhiculent des informations incorrectes ? Pourquoi ne pas avoir expliqué ce qu’est une transition, ni chiffré, avec l’appui d’expert-e-s des questions trans* et de personnes concernées qui ont vécu une transition ? A aucun moment, ce que serait une « détransition » n’est expliqué.
A aucun moment, d’ailleurs, les jeunes témoignant ne parlent eux-mêmes et elles-mêmes d’avoir fait une transition, ce sont les journalistes ou leurs parents qui utilisent ce terme, les déterminant. Comment comprendre le ton sensationnaliste des journalistes qui concluent que de faire une transition médicale « hâtivement » pourrait avoir des conséquences « tragiques », alors même que les deux jeunes témoignant n’ont pas effectué de transition médicale.
Les études internationales montrent également que les discontinuités de transition sont quasi nulles[6]. Depuis l’ouverture du Refuge Genève il y a 8 ans, 761 jeunes ont été soutenu-e-s, dont 458 pour des questionnements liés à leur identité de genre. Un seul parcours de discontinuité de transition a eu lieu parmi ces 458 jeunes. Ces études soulignent également que ces discontinuités de transition sont dues à des pressions familiale, scolaire, de thérapies qui visent à modifier l’identité de genre, ou encore de pression sociétale pour « revenir en arrière ».
Les associations genevoises et les professionnel-le-x-s travaillent selon les standards d’accompagnement des personnes trans* et non binaires de la WPATH, en partenariat avec toutes les instances concernées (parents, école, monde du travail), avec la prudence nécessaire et le respect de la personne et son autodétermination. Le cadre juridique suisse est clair : les décisions liées à la transition d’un-e enfant trans* peuvent être prises par le ou la jeune trans*, y compris en dessous de 18 ans, en se basant sur la capacité de discernement de l’enfant concerné-e[7].
Ce respect des droits des enfants trans* et de leur auto-détermination, de leur capacité de discernement et de leur intérêt supérieur trouvent leur ancrage dans le droit suisse, ainsi que les textes internationaux, ratifiés en partie par la Suisse[8]. Ainsi, le droit du ou de la jeune prime sur celui des parents.
Nous déplorons enfin un vocabulaire sensationnaliste véhiculé dans l’émission, comme « le phénomène trans* », « sectaire », des jeunes « sous emprise », des parents « désespérés », des chiffres qui auraient « littéralement explosé », le « wokisme », « une poignée » de séances chez le psy.
Le Refuge Genève, structure de l’association Dialogai, et l’association TransParents, ainsi que d’autres structures et personnes expertes des questions trans*, ont tout d’abord accepté de participer au tournage de l’émission citée ci-dessus. Tant le Refuge Genève, à travers une lettre adressée à la direction de la RTS le 20 décembre 2022, que TransParents ont demandé d’être finalement retiré-es de l’émission, tant la posture des journalistes qui l’ont tournée n’a pas été neutre : l’angle choisi pour aborder le sujet de la « détransition » était un parti pris. Ces constats ont été partagés par d’autres structures et personnes expertes des questions trans*, qui ont également finalement refusé d’y participer. Le dialogue avec les journalistes et la direction a ainsi été compliqué. Aucun effort pour entendre et comprendre nos réactions n’a été fait.
Car oui, nous refusons de débattre de notre existence, nous refusons de débattre, mais non, nous ne refusons pas le dialogue, du moment que celui-ci se fait dans un cadre sécurisant et égalitaire pour les personnes concernées, que leurs témoignages et leur expertise soit prise en compte, aux côtés de chercheurs et chercheuses scientifiquement reconnu-e-s par leurs pair-e-s. La Fédération et ses associations se sont au contraire historiquement fondées sur le dialogue, puisqu’en leur sein, nous menons régulièrement des sensibilisations et de formations destinées aux professionnel-le-s travaillant avec la jeunesse et les familles depuis plus de 10 ans. Nous dénonçons également le retournement des violences : non, nous ne sommes pas violent-e-x-s, ce sont les discriminations, les violences et les débats sur nos existences qui le sont.
Les médias ont une responsabilité vis-à-vis des jeunes trans* et non-binaires. « Dans le contexte social et médiatique actuel, on note une remise en question du droit des jeunes à s’autodéterminer. Cela se traduit par une augmentation des discriminations et des violences vécues, tant par les jeunes que par leurs familles, avec comme conséquence, une augmentation récente, mesurée par les cliniciens, des taux d’anxiété chez ces populations ».[9] Nous en appelons à un journalisme responsable, basé sur des faits scientifiquement fondés, non-biaisés, et à un traitement médiatique qui respecte les parcours de vie de personnes trans* et/ou non-binaires, jeunes ou adultes.
Pour tout renseignement complémentaire, merci de prendre contact avec :
Sylvan Berrut, représentant de Transgender Network Switzerland, 079 331 91 76
Alexe Scappaticci, coordinateurice du Refuge Genève, alexe@dialogai.org – 076 439 52 49
Mo Léonard, trésorier de la Fédération genevoise des associations LGBT – 078 697 35 17
Eric Amato, co-président de la Fédération genevoise des associations LGBT – eric@federationlgbt-geneve.ch – 079 575 35 90
Associations co-signataires: 360, Asile LGBTIQ+, Dialogai, Fédération genevoise des associations LGBT, HUG a Rainbow, Lestime, Transgender Network Switzerland, Think Out
Vous pouvez télécharger la lettre au format pdf.
[1] « L’affirmation de genre des jeunes trans et non-binaires en Suisse romande », Denise Medicod, Charlotte Pellaton, Adèle Zufferey, Médecine/sciences, 2023 : https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/abs/2023/02/msc230017/msc230017.html
[2] idem
[3] Idem
[4] Suicide thoughts and attempts among transgender youth, 2019, Williams Institute: https://williamsinstitute.law.ucla.edu/publications/suicidality-transgender-adults/
[5] The experience of parents who support their children’s gender variance, « Journal of LGBT youth», 2015. Annie-Pullen Sansfaçon.
[6] Factors associated with desistance and persistence of childhood gender disyphoria: a quantitative follow- up, 2013, J Am Acad Child Adolesc Psychiatry
[7] Dans son arrêt ATF 114 Ia 350, le Tribunal fédéral a rappelé qu’il est généralement admis qu’un patient mineur peut consentir seul à un traitement médical qui lui est proposé lorsqu’il est capable de discernement. Au demeurant, le droit suisse ne pose pas d’âge minimum légal pour consentir à un traitement médical.
[8] La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant rappelle, dans le paragraphe 72 lit. g de l’Observation Générale n°13 du Comité sur la Violence à l’égard des enfants de 2011, que les États doivent protéger « les enfants potentiellement vulnérables. Les groupes d’enfants susceptibles d’être exposés à la violence sont, notamment mais pas exclusivement, (…), les enfants homosexuels, transgenres ou transsexuels. »
La Convention relative aux droits de l’enfant, entrée en vigueur en Suisse le 26 mars 1997, garantit à l’enfant capable de discernement le droit de s’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant (art. 12 CDE).
Quant aux Principes de Jogjakarta Plus 10, sur l’application du droit international des droits de l’homme en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre et en particulier le Principe 32, « Le droit à l’intégrité corporelle et mentale », rappellent que les États doivent : A. Garantir et protéger les droits de chacun, y compris des enfants, à l’intégrité corporelle et mentale, à l’autonomie et à se déterminer soi-même ;
E. Veiller à ce que le concept d’« intérêt supérieur de l’enfant » ne soit pas manipulé pour justifier des pratiques entrant en conflit avec son droit à l’intégrité corporelle.
[9] « L’affirmation de genre des jeunes trans et non-binaires en Suisse romande », Denise Medicod, Charlotte Pellaton, Adèle Zufferey, Médecine/sciences, 2023 : https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/abs/2023/02/msc230017/msc230017.html