Lettre Ouverte au Conseil d’Etat genevois d’InterAction Suisse
Lausanne, le 7 novembre 2019
Monsieur le Président du Conseil d’Etat,
Mesdames les Conseillères d’Etat,
Messieurs les Conseillers d’Etat
Droits humains des personnes intersexes : passons des paroles aux actes !

Nous avons pris connaissance avec regret de votre décision prise le 16.10.2019 concernant les motions M2541-A et M2491. Nous souhaitons vous informer qu’il est important de cesser les mutilations génitales faites sur les enfants avec une variation du développement sexuel en Suisse mais aussi à Genève. Le fait que le Grand Conseil a renvoyé vos rapports à la Commission des Droits de l’Homme confirme qu’ils ne répondent pas à satisfaction aux deux motions acceptées il y a 6 mois.
Vous reconnaissez que les opérations d’assignation sexuelle causent de nombreuses séquelles et d’importantes souffrances, et doivent être considérées comme des mutilations génitales. Par mutilation nous comprenons toutes altérations, par le biais de la chirurgie ou de traitements hormonaux, des caractéristiques sexuels d’enfants sains présentant une variation du développement sexuel. Si cette position rejoint les recommandations des quatre comités de l’ONU ayant réprimandé la Suisse pour ces pratiques, sa mise en oeuvre se fait attendre, comme l’indiquent les éléments suivants.
Une pratique encore très éloignée des recommandations éthiques
Dans sa réponse datant de juillet 2019, en lien avec le 4ème rapport périodique de la Suisse sur la mise en œuvre de la Convention internationale relative aux droits économiques, sociaux et culturels, le Conseil Fédéral donnait des chiffres sur les traitements stationnaires d’enfants présentant une variation du développement sexuel. 141 nourrissons de 0-2 ans et 103 enfants de 3-16 ans ont été hospitalisés de manière stationnaires en Suisse entre 2010 et 2017. Ces chiffres ne comprennent pas toutes les variations du développement sexuel mais sont tout de même alarmants. Le manque de transparence du milieu médical ne laisse pas savoir dans quels hôpitaux ces enfants sont suivis, tout laisse néanmoins à croire que certains d’entre eux sont suivis à Genève, l’un des centres de référence Suisse en la matière.
Sur leur site internet, les HUG présentent une variation du développement sexuel, l’hypospadias (“environ 1 garçon sur 300 naît avec un hypospadias”), comme nécessitant une intervention chirurgicale “idéalement” dans les 2 premières années de vie de l’enfant. Cette variation ne représente pourtant aucun danger pour la santé de l’enfant ; au contraire, c’est l’intervention chirurgicale de cette variation qui comporte un risque d’échec (risque de ré-opération) de 10 à 20% (allant jusqu’à 50% pour les cas sévères). Des risques élevés pour une intervention qui a pour seuls buts de permettre plus facilement d’uriner debout et d’avoir une érection droite!
Nous avons découvert avec surprise un article signé de la plume du chargé de l’urologie pédiatrique aux HUG, le Dr Jacques Birraux. Dans cette tribune parue dans Le Monde le 30 juillet dernier, on lit que «La prise en charge médico-chirurgicale multidisciplinaire des [VDS] ont plusieurs objectifs à conduire le respect de l’enfant et de ses parents ou de l’entourage. La prévention des conséquences sociales, familiales et personnelles des [VDS] est essentielle pour éviter les stigmatisations, faciliter l’entrée dans la future vie adulte et répondre au souhait légitime des parents d’élever leur enfant dans les meilleures conditions possible ». Nous condamnons sans réserve cette position inacceptable. Elle constitue l’échappatoire qui permet aux médecins d’opérer sans devoir s’encombrer d’une justification médicale. Elle va d’ailleurs à l’encontre des recommandations de la commission nationale d’éthique, qui affirme notamment que :
« Le fait que le milieu familial, scolaire ou social ait de la peine à accepter l’enfant avec le corps qu’il a naturellement reçu ne saurait justifier une opération d’assignation sexuelle irréversible entraînant des dommages physiques et psychiques. Ces dommages peuvent être, par exemple, la perte des capacités reproductives (stérilité) ou de la sensibilité sexuelle, des douleurs chroniques ou des douleurs ressenties lors de la dilatation d’un néo-vagin (bougirage) et leurs séquelles traumatiques pour l’enfant. Les traitements de ce type entrepris uniquement dans le but d’intégrer l’enfant dans son environnement familial et social sont contraires au bien de l’enfant, sans compter qu’ils ne garantissent pas que leur but supposé – l’intégration de l’enfant – soit finalement atteint ».
Le Dr. Birraux a, par ailleurs, rédigé une thèse en 2017, il explique et illustre (avec des images personnelles) la plastie génitale féminine et masculine. Il montre, entre autre, des reconstructions du pénis, des vaginoplasties et explique la possibilité de faire des gonadectomies. Toutes ces opérations n’ont aucune urgence médicale. Il termine par ailleurs, en expliquant que la chirurgie fait partie d’une pratique “holistique” de son équipe multidisciplinaire en Suisse. Il va sans dire que la prise en charge multidisciplinaire est en aucun cas suffisante pour garantir la santé de l’enfant à long terme. La multidisciplinarité est un prérequis de base depuis 2006. Ce sont aujourd’hui les pratiques cliniques et protocoles employés par les équipes multidisciplinaires qui doivent être adaptées.
Bien que le Conseil d’Etat mentionne l’importance de travailler avec des associations spécialisées, InterAction souligne avoir indiqué son souhait de collaborer avec les HUG dans son communiqué de presse du 23 avril 2019 et n’a à ce jour jamais été contacté ou mis en lien avec une personne concernée ou un parent. Nous souhaitons rappeler l’importance que revêt la possibilité de rencontrer et socialiser avec d’autres personnes concernées par une VDS et ce à n’importe quel âge de sa vie et quel que soit sa variation. Importance rappelée par la CNE et par les différentes commission de droits humains ayant pris position vis-à-vis des VDS. Importance qui semble encore aujourd’hui mise en doute par l’absence de mise en lien systématique des personnes concernées par le milieu médical. C’est le cas, par exemple, pour des enfants ayant une maladie chronique comme le diabète.
Les solutions sont à votre portée, les victimes comptent sur vous !
Cher Conseil d’Etat, nous vous demandons de reconnaître les violations des droits humains de certains enfants nés avec des variations du développement sexuel dans le canton de Genève et de faire quelque chose contre cela. Malheureusement, le pouvoir social du milieu médical est encore tellement fort que seule une interdiction formelle de tous les traitements non-nécessaire pour la survie de la personne et sans consentement libre, éclairé et exprès de la personne concernée (et non les parents souvent ignorants de la question) pourrait durablement changer la situation.
Aujourd’hui, l’heure n’est plus à la reconnaissance des mutilations génitales comme des violations des droits humains, des droits de l’enfant et des droits du patient. Heureusement, elles sont déjà considérées comme telles par un nombre croissant d’institutions (ex. ONU, Parlement de l’Union Européen, Conseil de l’Union Européenne, Amnesty International ou Human Rights Watch). Ces positions claires ne sont pas respectées au sein de secteurs majeurs de la médecine, là où les violations des droits humains sont justement commises : c’est sur ce plan que le Conseil d’Etat peut et doit rappeler les praticiens à leurs devoirs, en particulier au sein des HUG.
Vous avez la possibilité de permettre à Genève de prouver une fois de plus son attachement au respect des droits humains. Les pratiques médicales ayant causé de nombreuses souffrances injustifiées chez les personnes intersexuées n’ont plus leur place dans le monde aujourd’hui, et nous demandons une réaction ferme de la part du canton de Genève, pour éviter d’allonger encore plus la liste des victimes.
InterAction Suisse – Association Suisse pour les intersexes et les proches
+41 79 104 81 69
Cosignataires:
Audrey Aegerter – Audr XY
Association faîtière Familles Arc-en-ciel
Amanda Terzidis – travailleuse sociale et chargée de recherche Be You Network Carolina Gonzalez Lopez – La Carologie
Cynthia Kraus – Maître d’enseignement et de recherche
Dr. Blaise J. Meyrat – Chirurgien Pédiatre FMH
Dr. Kate Lindley
Diego Esteban – Député au Grand Conseil Genevois
Festival Les Créatives
Hans-Peter Fricker – Network – gay leadership
Hélène Martin – Professeure en études genre (HES-SO)
ILGA-Europe
ILGA-World
Jens Pohlmann – Amnesty International, Queeramnesty
Lorena Parini et Matthias Erhardt – co-président.e.s de la Fédération genevoise des associations LGBT
Magdalena Urrejola – IAMANEH Suisse – Santé pour femmes et enfants
Marielle Zwissig – Infirmière clinicienne spécialisée (MScSI)
Max Kranich – Milchjugend
Michael Groneberg – Maître d’enseignement et de recherche (Université de Lausanne)
OII Europe
Organisation Suisse des lesbiennes
Pinkcross
Prof. Alexandra Jungo – Professeure en Droit civil (Université de Fribourg)
SAMED (Soutenir et accompagner les mères d’enfants différents)
Susanne Andrea Birke – Théologienne catholique romaine
TERRE DES FEMMES Schweiz
Transgender Network Switzerland
Viol Secours
WyberNet